Pièce emblématique, sil en est. Réputée immontable et, de fait, très peu montée. Objet théâtral insolite, inclassable. Très à limage de Cocteau qui annonce : « Ballet ? non. Pièce ? non. Revue ? non. Plutôt une sorte de mariage secret entre la tragédie antique et la revue de fin dannée, le chur et le numéro de Music Hall ».
Une machine à faire rêver. Dans la pièce, tout fait rêver : la Tour Eiffel et ses guipures, les Mariés, jolis comme des amoureux de Peynet, la baigneuse de Trouville, le lion surgi du désert, la mer au lointain, les vols de dépêches
Avec Parade monté par les Ballets Russes puis Les Mariés de la Tour Eiffel créé 1921 par les Ballets Suédois, Jean Cocteau participe à la création dun genre théâtral nouveau mêlant danse, théâtre, musique, arts plastiques et puisant dans les atmosphères de cirque, de fête foraine, de bal populaire.
Quelle merveilleuse proposition de spectacle pour un théâtre dombres ou de marionnettes que cette pièce « expression plastique de la poésie ». Jean Cocteau, homme dimage, sil en fut, nhésita pas à introduire des séquences de jeu dombres dans La belle et la bête, film culte où il réhabilite le conte de fées.
Dans les Mariés de Tour Eiffel, « les fées napparaissent pas, elles se promènent, invisibles » et ont endossé une image de modernité : fées de lélectricité, de la photographie, de la télégraphie aérienne.
Le théâtre dombres, si souvent qualifié de « magique » et lié, à lorigine, au culte des morts, se prête idéalement à la pièce de Cocteau, mélange de féerie et de bouffonnerie, avec un fond de gravité sous-jacente.
La noce, ses garçons et ses filles dhonneur, ses beau-père et belle-mère, son inévitable général en retraite apparaissent comme autant de « clichés » de mariage.
Les ombres de ces êtres humains archétypaux, réalisés à partir de collage mêlant photos et gravures, croiseront divers mirages et cartes postales colorées, sorties par accident de lappareil photographique.
Car lintrigue de la pièce, qualifiée de surréaliste ou dabsurde, est extrêmement construite et logique, dans son absurdité. Cest de labsurde voulu et organisé.
Que se passe-t-il ?
Une noce vient déjeuner sur la Tour Eiffel un quatorze juillet.
Le photographe de la Tour Eiffel tente de les prendre en photographie. Mais son appareil est détraqué. Lorsquil dit « attention, le petit oiseau va sortir », sortent de lappareil une autruche, une baigneuse, un enfant, un lion
Dans cet univers, les expressions sont prises à la lettre, les scènes semboîtent comme les mots dun poème et le lieu commun « réhabilité » est érigé en art.
On nest pas loin du nonsense anglais, de la logique dun Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles.
Par sa fantaisie débridée, son humour déjanté, sa logique implacable et absurde, la poésie de son univers, la richesse de son texte et des images quil évoque, Les Mariés de la Tour Eiffel, si totalement empreints de limaginaire enfantin de Jean Cocteau devraient rencontrer ladhésion dun public denfants.
Nous en faisons le pari.
Dans sa célèbre préface de 1921, Jean Cocteau dit : « Une phrase du photographe pourrait me servir de frontispice : puisque ces mystères me dépassent, feignons den être lorganisateur ». Cest notre phrase par excellence.
Sur une petite estrade de bois, montée au 1er étage dune Tour Eiffel perdue dans les nuages, les cinq montreurs dombres, comédiens, musiciens et technicien du Théâtre du Tilleul joueront lorganisation du spectacle de Monsieur Cocteau, bien quils soient eux-mêmes dépassés par les mystères qui les environnent : mystères de la photographie et de la représentation théâtrales, bien sûr, mais aussi mystère de lenfance, de ses souvenirs et de ses traces, mystère du temps qui passe.
Carine Ermans
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